Très bel article du journal suisse 24 heures à propos de Christiane Ramseyer, directrice de Taller de los Niños
Passés ces rares instants de détente, elle s’en retourne vers la poussière, les maisons aux toits de tôle et la précarité des bidonvilles du district de San Juan de Lurigancho, plus au nord. Le soleil mord au-dessus de l’omniprésente chape de nuages qui plonge la capitale péruvienne dans la grisaille. Depuis quatre décennies, Christiane Ramseyer arpente avec ses équipes ces sentiers arides à la rencontre de mères trop jeunes, sans moyens, battues, privées de solution de garde, seules.
Pour toutes ces femmes et leurs enfants, la Suissesse a créé Taller de los Niños (l’Atelier des enfants), il y a 40 ans tout juste. Une garderie pour 180 enfants, sur laquelle elle a greffé un centre médical pédiatrique, une salle d’oxygène pour enfants asthmatiques, des ateliers de prévention, une assistance juridique et un centre d’aide à l’allaitement. La Vaudoise n’a pas ménagé sa peine, même si elle vous dira devoir en faire bien davantage. Ajoutez-y un réseau de mamans de jour et des ateliers de formation professionnelle, et vous comprendrez pourquoi elle a reçu la visite d’une certaine Doris Leuthard en 2017, présidente de la Confédération.
«Ma mère, cette alliée précieuse»
Jeune déjà, à Oron, Christiane rêvait de nouveaux horizons et de s’engager pour Terre des hommes. «Je culpabilisais de vivre dans l’abondance, je voulais et je continue de vouloir payer mon dû à la société, explique-t-elle avec l’accent vaudois qui ne l’a jamais quittée. Edmond Kaiser, fondateur de Terre des hommes, était mon idole.»
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Le grand départ survient en 1977 pour l’infirmière de formation. Elle a 21 ans et débarque le 4 janvier à Lima pour remplacer une amie au sein de l’antenne de l’ONG. «Au premier jour, je me suis sentie chez moi, dans mon pays, sans parler un mot d’espagnol. Le premier que j’ai appris, c’est recogedor (ramassoire). Ça dit bien ce que je faisais: tout!»
«Je culpabilisais de vivre dans l’abondance, je voulais et je continue de vouloir payer mon dû à la société»
Au fil de son récit de vie, Christiane évoque plus d’une fois la mort d’un enfant. Dans chaque drame, la Vaudoise voit le signe du travail qui reste à accomplir. Celui de septembre 1977 marque un tournant: «Un collègue m’a appelé pour intervenir auprès d’enfants victimes d’un incendie et dont les parents n’étaient pas là. Certains sont morts dans mes bras… Ça a été le déclic pour créer mon association et ouvrir une garderie.»
Elle rentre brièvement en Suisse pour poser les bases de Taller de los Niños. Elle témoigne de son expérience dans l’émission radio «Baisse un peu l’abat-jour» et génère 10 000 fr. de dons. Des courriers partent tous azimuts. Une équipe se met en place à Oron. «Ma mère a été une alliée précieuse, elle a vécu cette aventure comme un grand rêve.»
Une histoire de famille
Retour au Pérou. Christiane s’évertue à trouver un terrain, qu’elle trouve dans le sous-district de Canto Grande: «Un cul-de-sac où les militaires de la dictature envoyaient les indésirables et qui compte deux prisons fédérales.» Problème, l’administration prend de haut cette Européenne qui n’a rien à lui apprendre. C’est mal connaître la détermination de la Vaudoise: «J’ai fini par compter mes allers-retours au Ministère du logement et de la construction: 178! Je les ai eus à l’usure. À la fin, ils m’ont dit: «La gringa, on ne veut plus te voir!»
L’association devient réalité en janvier 1978. Les travaux de construction débutent. L’ingénieur lui donne du fil à retordre, ce José Cifuentes à la moustache fière et à la voix puissante. Quelques coups de gueule plus tard, le Chilien, qui a fui la dictature quelques années plus tôt, devient «Pepito», son mari et le père de ses deux filles, Maria Isabel et Sara Maria. «C’est l’épaule sur laquelle je m’appuie pour pleurer dans les moments difficiles. C’est le pire de travailler avec son mari, on ne décroche jamais, mais il est bon comme le bon vin, capable de répéter vingt fois la même explication quand moi je deviens folle après deux. Autant d’énergie à 81 ans, c’est formidable.» Cette ardeur ne fut pas de trop quand toute la famille dut fuir au Chili en 1992: «Après deux lettres de menace de mort des guérilleros du Sentier lumineux, nous avions dû nous résoudre à partir. Mais qu’est-ce que je me suis sentie mal vis-à-vis du centre!» Toujours cette culpabilité, parce qu’elle n’en fera jamais assez.
Depuis sept ans, c’est sa cadette, «Sarita», forte d’une formation dans la communication et le management, qui apporte un nouvel élan de modernité dans la gestion. «Moi j’aurais tendance à accueillir tous les enfants à la garderie. Nous avons 60 nouvelles places par an et la première semaine des inscriptions, nous recevons 200 à 300 candidatures… Sarita m’a fait accepter des critères de sélection plus stricts. Elle a un regard plus objectif, qui ne tient pas compte de mes expériences du passé. Elle a changé radicalement ma perception des choses.»
La complicité naturelle entre les deux femmes fait du reste plaisir à voir. Sara Maria ne cache pas son admiration pour le travail de sa maman: «Il suffit de dire que certaines mères qui ont fréquenté le centre alors qu’elles étaient enfants reviennent aujourd’hui comme mamans pour réaliser tout le chemin parcouru.» (24 heures)
Créé: 17.07.2018, 07h48
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https://www.24heures.ch/portraits/arrivee-lima-21-ans-j-senti-premier-instant-jetais/story/19971623
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