PéROU - Ollanta Humala, un président pour un nouveau modèle économique?
Santiago Fischer
Viernes 17 de junio de 2011, puesto en línea por colaborador@s extern@s
Dimanche 5 juin 2011, le candidat nationaliste du parti Gana Perú a devancé sa rivale Keiko Fujimori dans la course à la présidentielle péruvienne. Avec plus de 51% des voix dans ce scrutin majoritaire, Humala, ancien militaire, a donc triomphé au terme d’une campagne polarisée à outrance qui risque de laisser des traces au sein de la population. Au lendemain, le quotidien espagnol El País titrait de manière éloquente : «la mémoire s’est imposée face à la peur», faisant ainsi référence au rejet par la population de voir le pays dirigé par la fille de l’ancien président Fujimori et ce malgré la crainte que suscitent Humala et son discours anticapitaliste.
Keiko Fujimori avait pourtant de bonnes chances de remporter le scrutin. Son plaidoyer clairement en faveur d’une continuité du modèle économique néo-libéral mis en place par son père dans les années nonante jouait en sa faveur. Avec une croissance avoisinant les 7% du PIB par an mais peinant malgré tout à redistribuer équitablement ses bénéfices afin d’éradiquer la pauvreté, le Pérou est une terre d’accueil pour les investissements extractifs étrangers. Le passé familial de Keiko a eu raison de ses ambitions présidentielles.
Sous la pression d’une société civile et d’une large partie de la population militant contre sa candidature, elle n’a pu que constater les dégâts. Plusieurs erreurs commises ont provoqué ce rejet. Tout d’abord, elle a annoncé qu’elle tenterait de libérer son père qui purge actuellement une peine de prison à perpétuité pour des crimes contre l’humanité commis pendant la guerre civile entre le gouvernement et la guérilla du Sentier lumineux. Son entourage politique, similaire à celui de son père, n’a également pas inspiré grande confiance. Enfin, le coup de grâce a été porté par la révélation des 250 000 cas de stérilisations forcées de femmes indigènes opérées également par le gouvernement d’Alberto Fujimori, instaurant ainsi une véritable planification étatique violente des naissances…Selon certains analystes politiques, plus qu’une victoire d’Humala, c’est surtout une défaite du fujimorisme qui a été enregistrée lors de ce second tour.
Mais il serait faux de penser que la victoire d’Ollanta Humala n’est due qu’à la seule dégringolade de son adversaire. Le candidat nationaliste a tout au long de sa campagne proposé un modèle économique en rupture avec le libéralisme. Conscient que les inégalités socio-économiques peuvent être surpassées avec un meilleur contrôle des investissements étrangers et une distribution accrue des richesses, Humala a séduit une large frange de la population pauvre et rurale trop longtemps laissée pour compte par la puissante capitale Lima acquise aux théories du consensus de Washington. Son programme social est innovateur et inclut tous les Péruviens, des nourrissons aux personnes âgées. C’est dire si l’espoir qu’il suscite est important et ce malgré sa réputation entachée de graves accusations de massacres et autre crimes qu’il aurait commis à l’époque où il officiait dans l’armée nationale.
Humala est surtout craint par les milieux économiques de son pays mais également étrangers. Le lendemain de son élection, la Bourse de Lima a perdu plus de 12 points et a dû même fermer plus tôt. Le vainqueur a été submergé de messages de représentants politiques et économiques lui intimant le conseil de montrer des signaux positifs en faveur d’une continuité du modèle néolibéral, et cela afin de rassurer les marchés… La pression est énorme et laisse augurer un mandat où Humala sera sans cesse harcelé et écartelé entre les deux postures idéologiques. Pour l’instant, il s’est montré rassurant en affirmant que son but n’était pas de détruire le modèle ni de miner la croissance, mais bien de le rendre plus juste et assurer une meilleure répartition des profits entre tous les Péruviens. L’historien Antonio Zapata surenchérit en déclarant dans le quotidien péruvien La República que «la majorité des alliés socialistes du président viennent d’une gauche moderne, démocrate et qui accepte le marché». Ces paroles ont le mérite d’apaiser non seulement l’oligarchie extractive, mais également la population, dans un pays traumatisés par les actes barbares commis par les dictatures militaires et la guérilla maoïste du Sentier lumineux.
S’il est impossible pour le moment de spéculer sur sa future politique économique, il s’avère déjà néanmoins que les marchés ne se laisseront pas faire. La composition de son futur gouvernement sera sans doute un facteur clé. En effet, afin de réduire la polarisation créée pendant ces élections, il envisage d’ouvrir son équipe à d’autres partis. Ne bénéficiant pas de la majorité au Congrès, il devra en effet se ménager des alliés, même si cela doit passer par de lourdes concessions opérées à son programme.
Mais comment concilier la continuité d’un modèle économique destructeur avec des promesses de réformes sociales profondes et partant, une amélioration des droits de l’Homme fondamentaux ? Le défi est énorme pour le nouveau Président. Ollanta Humala hérite d’un pays où 233 conflits sociaux sont actifs, généralement situés dans les zones de grande pauvreté. Pour la majorité, ils sont liés à de grandes exploitations minières étrangères qui s’installent sur les terres des Indigènes. Sans pour autant amener des possibilités d’emplois pour les autochtones, elles provoquent une pollution des sols et des eaux nuisibles à la vie de ces communautés natives. Les populations, mécontentes et désespérées de ne pas voir leurs revendications - pourtant légitimes - entendues n’ont souvent comme dernier recours que l’action violente.
Plusieurs pistes afin de diminuer la situation sociale conflictuelle s’offrent à Humala, comme la promulgation de la loi sur le droit des peuples à la consultation préalable, libre et informée, telle que l’indique la Convention 169 de l’OIT. Ce règlement leur permet de donner leur avis voire de trouver un accord avec le gouvernement sur tout projet administratif pouvant affecter leur vie quotidienne. Le nouveau Président pourra également accélérer le processus de décentralisation de l’Etat qui permettra aux régions, plus proches de la réalité et du terrain, d’être de véritables acteurs et de bénéficier ainsi de compétences notables sur les questions extractives. La lutte contre la corruption ainsi que la mise en place d’un impôt juste afin de taxer davantage les bénéfices de ces multinationales sont autant de mesures qui participeraient également à cette tâche.
En attendant de convaincre sur sa politique intérieure, Humala a déjà amorcé une opération de séduction des dirigeants étrangers. Salué par les grandes puissances mondiales, il entame dès maintenant une tournée des dirigeants latino-américains, et cela pour montrer son attachement à l’intégration du continent, notamment corroboré par ses déclarations allant dans le sens d’un renforcement de l’UNASUR, l’Union des Etats sud-américains. Loin des images diabolisantes véhiculées à son encontre au Pérou, il semble que les autres présidents veuillent entretenir dès le début de bonnes relations avec lui. L’Union européenne et donc la Belgique noueront sans doute très rapidement des relations cordiales avec lui, car des accords d’association avec le Pérou sont en passe d’être adoptés définitivement par la Commission et le Parlement européen.
Il apparaît primordial que l’Union européenne soient attentives lors de ce mandat à la situation des droits de l’Homme et qu’elles exigent que des améliorations conséquentes soient apportées par Humala, conformément à son programme, par rapport à la dernière présidence d’Alan Garcia. Lorsque nous décidons de faire du commerce avec un pays tiers, il s’agit également d’être des citoyens responsables. Faire l’économie d’un regard éthique serait une erreur et montrerait un bien mauvais signal au peuple péruvien de la part de notre continent.
Santiago Fischer est membre de la Commission Justice et Paix de la Belgique francophone
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