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BOLIVIE - « Élections maintenant » : le MAS récupère l’initiative ?

Fernando Mayorga

vendredi 31 juillet 2020, mis en ligne par Dial

Cet article de Fernando Mayorga, publié le 24 juin sur le site de la revue Nueva Sociedad, fait le point sur l’évolution des rapports de force politiques en Bolivie ces derniers mois, entre pandémie et élections à venir.


Alors que la présidente Jeanine Añez cherchait à retarder les scrutins, la Bolivie organisera des élections le 6 septembre prochain. Au beau milieu de la pandémie de Covid-19, le Mouvement vers le socialisme (MAS) cherche à reconstruire sa coalition politico-sociale tandis que le gouvernement se débat avec une mauvaise gestion de la crise sanitaire et que le bloc anti-MAS se trouve profondément divisé.

Contre son gré, la présidente par intérim Jeanine Añez a annoncé la promulgation de la loi qui établit que les élections générales devront avoir lieu le dimanche 6 septembre 2020. Initialement, les scrutins étaient prévus pour le 3 mai, mais la pandémie de Covid-19 a provoqué un ajournement parce que le pays est entré en quarantaine obligatoire à partir de la fin mars. Cette situation a aggravé la crise politique que vit la Bolivie depuis novembre de l’année dernière, quand Evo Morales a été renversé par un coup d’État qui a abouti à la formation d’un gouvernement de transition dont le rôle principal était de convoquer des élections dans un délai de 90 jours, puisque avait été annulé le scrutin réalisé en octobre 2019. Ce délai est resté en suspens, comme tant de choses sur la planète, depuis l’irruption du coronavirus.

Le choix du 6 septembre comme date pour la tenue des élections générales est le résultat d’un changement sur la scène politique provoqué par deux faits : la candidature inattendue d’Añez à la Présidence et la capacité de réorganisation du MAS. Tout cela, avec la pandémie en toile de fond.

Fin janvier 2020, le parti d’Añez – Démocrates – a décidé que celle-ci serait candidate à la Présidence, ce qui a achevé de désarticuler la coalition qui avait renversé Evo Morales. Le bloc anti-MAS s’est divisé en quatre candidatures (Carlos Mesa pour Communauté citoyenne, Luis Fernando Camacho pour Creemos, Jorge « Tuto » Quiroga pour Libre 21 et Añez pour Ensemble). Et dans ce contexte de divisions, le binôme du MAS - composé des ex-ministres Luis Arce Catacora et David Choquehuanca – a pris la tête dans les sondages, tandis que Morales reste en exil en Argentine.

Au début, la pandémie a servi la campagne électorale d’Añez. Mais la mauvaise gestion gouvernementale de la crise sanitaire –mâtinée de scandales de corruption, d’un maniement arbitraire de la force policière et militaire et du manque de concertation avec la société et les administrations territoriales – a affaibli son image en quelques mois. Pour cette raison, Démocrates –un parti implanté à Santa Cruz qui a obtenu 4% des voix au scrutin de l’an dernier – a opté pour défendre l’idée d’un ajournement indéfini du scrutin alléguant le danger de la pandémie et brandissant une consigne fallacieuse : « Santé ou élections ». Avec les égarements du parti au pouvoir, la double condition de présidente et candidate a cessé d’être un avantage pour Añez. En outre, l’action arbitraire du gouvernement faisait face à l’opposition du parlement, où le MAS possède la majorité qualifiée des deux tiers dans les deux chambres. Sans doute, l’absence de contrôle de la présidence sur le pouvoir législatif explique en grande partie la conjoncture politique bolivienne et son évolution.

Ainsi, la majorité du MAS à l’Assemblée législative plurinationale a voté la loi qui fixait le premier dimanche de septembre comme limite pour la réalisation des élections. La présidente intérimaire envoya alors une lettre au parlement pour lui demander d’expliciter quelles études épidémiologiques avaient été prises en compte pour établir cette date. La réponse de la présidente du Sénat, Eva Copa, fut brève : si la présidente ne promulguait pas la loi dans le délai de dix jours, elle se chargerait d’accomplir cette tâche, ainsi que l’établit la Constitution politique de l’État. Cette lutte de pouvoirs fut favorable à la posture du MAS, car la présidente intérimaire décida de promulguer la loi. Cependant, elle accusa cependant ses adversaires, le MAS en particulier mais aussi l’ex-président Carlos Mesa, pour les dommages probables provoqués par la pandémie en septembre. Cette déclaration est sans doute plus à attribuer à la candidate présidentielle qu’à la cheffe de gouvernement responsable, précisément, de la gestion de la crise sanitaire.

De cette manière, les va-et-vient dans le comportement gouvernemental s’expliquent par la superposition de rôles et d’objectifs comme candidate et présidente. Ces différentes actions ont aussi eu un effet sur la campagne de ses rivaux politiques et les enquêtes indiquent qu’Añez pourrait arriver en deuxième position, disputée à Mesa, et être opposée au second tour à Arce, le candidat du MAS étant donné favori dans les sondages d’opinion. La candidature d’Arce s’est vue renforcée par la réorganisation du MAS, qui a retrouvé un rôle d’acteur stratégique.

L’affaiblissement du gouvernement d’Añez s’est produit dans un contexte politique redéfini par une action décisive du MAS qui, le 30 avril, en accord avec la constitution, a approuvé formellement le report des élections du 3 mai, mais en établissant un délai de 90 jours pour la réalisation du scrutin, c’est-à-dire dans la première semaine d’août. La politique est alors revenu au centre de la scène détrônant ou rivalisant avec la pandémie. Ce jour-là, le groupe parlementaire du MAS a fait bloc, pour la première fois depuis octobre, pour approuver la Loi de report des élections générales 2020, appelant aussi ses partisans à réaliser un concert de pétards et casseroles dans plusieurs villes avec la consigne « Élections maintenant ». Cette action s’est répétée la même nuit quand, face aux observations faites sur la loi par la présidente intérimaire à peine dix minutes après son approbation, le groupe parlementaire du MAS a rouvert immédiatement la session parlementaire pour les rejeter. La loi a ensuite été promulguée par la présidente du Sénat couronnant un processus durant lequel s’est révélée une discipline de parti inédite dans cette conjoncture, après les divisions qui ont suivi la chute de Morales.

L’approbation et promulgation de cette loi fin avril constitue la première initiative politique du MAS depuis le début de la quarantaine. Ce faisant, il a transformé la scène politique et ses adversaires ont commencé à reformuler leurs stratégies, jusqu’alors subordonnées aux initiatives du gouvernement. Les élus soutenant le gouvernement déposa alors une demande d’inconstitutionnalité de la loi pour freiner son application, Mesa demanda un « sommet national » pour faire face à la pandémie et Camacho déclara que chaque nuit il sortirait prier dans une rotonde de Santa Cruz, enfreignant ainsi les consignes du gouvernement décidé à une gestion répressive de la crise sanitaire. Les pions commencèrent à bouger, et plus encore après que le président du Tribunal suprême électoral (TSE), Salvador Romero, a déclaré qu’il ajusterait le calendrier électoral à la loi.

L’approbation et promulgation de la Loi de report des élections générales 2020 fin avril témoigne de ce que le MAS s’est réorganisé et a récupéré l’initiative politique. Au même moment, et de manière croissante, les organisations rurales et indiennes se sont regroupées dans une instance de coordination, dénommée Pacte d’unité, qui a joué un rôle clé dans la réorganisation du MAS comme « instrument politique » et remis sur l’échiquier la puissance de sa base électorale.

Depuis lors, le MAS fait bloc autour de la consigne « Élections maintenant », ce qui ne l’a pas empêché de faire preuve d’une certaine flexibilité puisque la date initialement proposée pour le scrutin, le 2 août, a été remplacée par le 3 septembre. Peu avant, Evo Morales avait signalé dans un tweet que la première date n’était pas gravé dans le marbre. Le leader du MAS retrouve ainsi finalement un style d’action politique qui, dans le passé, lui a offert de bons résultats électoraux avec l’adoption d’une posture modérée qu’on peut qualifier d’« avancée vers le centre ».

Cette décision d’adopter une posture flexible sur la date du scrutin constitue la deuxième initiative politique du MAS durant cette période et, de nouveau, elle a obligé ses adversaires à reformuler leurs stratégies. Les partis politiques ont dû ainsi prendre position et cela a débouché sur un accord entre les acteurs stratégiques du processus électoral. Les partis ont répondu positivement à la convocation du TSE qui, en outre, mettait en œuvre son plan initial de définir un intervalle de temps pour la réalisation du scrutin entre la première semaine de juin et septembre. Cet accord conclu, début juin, sur proposition du TSE et avec le soutien d’observateurs extérieurs (l’Organisation des Nations unies, l’Union européenne et l’Église catholique), est important parce qu’il s’agit du premier accord politique de cette période et, aussi, parce que le TSE a récupéré une crédibilité institutionnelle.

Dans ce contexte le comportement des forces au pouvoir a été surprenant, car il est revenu sur sa décision de se joindre à l’accord promu par le TSE et a opté pour entraver la promulgation de la loi qui fixait la réalisation du scrutin au premier dimanche de septembre. Autre va-et-vient du gouvernement, Añez a déclaré que « retarder les élections d’un mois ou deux ne fera de mal à personne », alors qu’elle a affirmé aussi qu’elle allait « respecter tout ce que le Tribunal électoral établirait parce que nous voulons aussi des élections ».

Cette ambigüité s’est vite dissipé étant donné que l’affaiblissement du gouvernement est évident et qu’il a face à lui une coalition circonstancielle de plus en plus ample qui critique sa position sur le processus électoral. Aux acteurs politiques – avec le MAS et Communauté citoyenne en tête – se sont joints de multiples acteurs sociaux d’ancrage populaire, parmi lesquels il faut citer la Centrale ouvrière bolivienne (COB), qui a lancé un ultimatum : « élections en septembre ou agitation sociale ». La réaction gouvernementale a été d’annoncer la promulgation de la loi dans la nuit du 21 juin, en pleine célébration de Nouvel An andino-amazonien, date emblématique instaurée par le gouvernement d’Evo Morales. La vie te fait des surprises, comme dirait Rubén Blades.

De cette manière, la politique retrouve le chemin électoral avec l’objectif que des urnes surgisse un gouvernement légitime et un système de partis rénové capables d’apporter des réponses à la crise multidimensionnelle déclenchée par la pandémie, qui s’ajoute à une crise politique héritée de la rupture de l’ordre constitutionnel en novembre 2019.


- Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3540.
- Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
- Source (espagnol) : Nueva Sociedad, 24 juin 2020.

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