COLOMBIE - Leaders sociaux sans protection
Susan Abad
vendredi 15 septembre 2017, mis en ligne par Dial
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Dans le prolongement du dossier DIAL 3417 - « COLOMBIE - Le retour à la paix en 180 jours », publié dans le numéro de juillet, nous continuons avec ce texte de Susan Abad, l’exploration des multiples effets induits par les accords de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (FARC-EP). Texte publié par Noticias Aliadas le 13 juillet 2017.
Attaques et assassinats de défenseurs des droits humains dans des zones auparavant contrôlées par les FARC ont augmenté depuis la signature de l’Accord de paix.
Tandis que le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) poursuivent leurs efforts pour que plus d’un demi-siècle de conflit armé s’achève et cesse de causer des morts, dans le pays se multiplient les assassinats de leaders communautaires et de défenseurs des droits humains. Le rapport correspondant à 2016 du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits humains (OACNUDH) sur la situation en Colombie, publié le 16 mars 2017, a donné l’alerte sur un problème qui, s’il n’est pas nouveau, « s’est amplifié depuis l’an passé avec la signature de l’Accord de paix », comme l’affirme à Noticias Aliadas Leonardo González, coordinateur de l’Unité de recherche de l’Institut d’études pour le développement et la paix (INDEPAZ).
Todd Howland, représentant en Colombie de l’OACNUDH, a dénoncé à cette occasion l’assassinat de 127 leaders sociaux en 2016. Pourtant, le Système d’information sur les agressions contre des défenseur.e.s des droits humains (SIADDHH) de Nous sommes défenseurs - Programme non gouvernemental de protection des défenseur.e.s des droits humains, affirme que 80 leader.e.s et défenseur.e.s ont été assassiné.e.s, tandis que pour INDEPAZ il y a eu 117 homicides d’hommes et de femmes engagé.e.s dans les luttes de leurs communautés.
L’alarme s’est renforcée avec la recension effectuée par Nous sommes défenseurs qui révèle qu’« entre janvier et mars 2017, 193 défenseur.e.s des droits humains ont été victimes d’un type d’agression mettant en jeu leur vie et leur intégrité physique ».
« Parmi ces agressions, 20 ont abouti à des assassinats », révèle à Noticias Aliadas Leonardo Díaz, coordinateur de la protection de Nous sommes défenseurs. Il souligne l’augmentation d’homicides de leaders ayant des charges de direction dans de petites associations d’action communale. « En 2015 ont été enregistrés 6 cas, mais l’an dernier leur nombre s’est élevé à 20, suivi par les leaders indiens avec 15 cas, et 13 pour les leaders paysans », affirme-t-il.
Si les chiffres des morts ne coïncident pas, plusieurs organisations non gouvernementales s’accordent sur le fait que les meurtriers principaux sont des groupes paramilitaires reconvertis en bandes criminelles après leur démobilisation entre 2003 et 2006. Selon Nous sommes défenseurs, les paramilitaires ont assassiné 45 des 80 leaders dont la mort a été recensée en 2016, 28 furent assassinés par des inconnus, 3 par la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) et 4 par la force publique. Pour INDEPAZ, les paramilitaires ont assassiné 27 leaders et l’Institut n’écarte pas qu’il y en ait beaucoup plus parmi les 82 victimes dont on ne connaît pas encore le meurtrier.
Société polarisée
Howland précise que les cas se sont présentés principalement dans les départements d’Antioquia, du Cauca, de Córdoba et du Nord de Santander, et que la majorité a eu lieu dans des zones d’économie illicite, où dominent les cultures de coca et l’exploitation minière illégale. Cependant, il souligne « l’évolution de la violence dans des zones auparavant sous contrôle rapproché des FARC-EP ».
Il donne comme exemple la municipalité d’Argelia, dans le département du Cauca, où le « vide [laissé par les FARC] est progressivement occupé par des groupes armés au service du narcotrafic ». Cela est dû, d’après lui, à la « faiblesse de la présence de l’État, inégalement répartie sur le territoire », qui a pour résultat « l’augmentation des assassinats de personnes par le pouvoir des économies illicites ». Howland a précisé que 27 des victimes enregistrées par la OACNUDH ont péri dans des zones historiquement contrôlées par les FARC, tandis que 48 se trouvaient en des lieux où prédominait la guérilla vis-à-vis d’autres groupes armés illégaux comme l’ELN ou des bandes criminelles.
Díaz explique qu’« après l’abandon des territoires par les FARC, des groupes paramilitaires commencent à les occuper et à y exercer un contrôle territorial et social. Ils commencent à exercer un contrôle sur ces revenus illicites, ce qui fait que les communautés établies sur ces territoires s’organisent pour dénoncer cette situation, ce qui les transforme en objectif militaire pour ces groupes armés ».
Cependant, González ne peut affirmer que ces assassinats ont lieu dans les zones exclusives d’où se retirent les FARC, « mais il y a bien une relation directe entre l’Accord de paix signé l’an passé et l’assassinat de ces leaders. Ces assassinats avaient déjà lieu mais le processus de paix et l’accord final ont polarisé la société de telle sorte que ces faits se sont multipliés. »
Pendant ce temps, les spéculations et les analyses ne soulagent pas la douleur des familles des victimes. Martha López ne peut retenir ses larmes en racontant à Noticias Aliadas la mort de sa sœur Alicia, criblée de balles par un inconnu en mars dernier, alors qu’elle se trouvait dans la boutique d’un de leurs frères.
« Nous faisions partie de la UP [1] et Alicia [en 15 ans de travail social] avait réussi à installer un poste de santé dans le quartier », raconte López, qui n’hésite pas à désigner les paramilitaires comme les auteurs de l’assassinat de sa sœur.
Dans ce tourbillon de terreur les assassinats ont aussi atteint les FARC. Quatre guérilleros et huit membres de leurs familles ont été assassinés depuis qu’a débuté la mise en place de l’Accord de paix.
Le chef guérillero Carlos Antonio Lozada rappelle ce qu’a dit le leader suprême des FARC Rodrigo Londoño, alias Timochenko, après avoir signé la paix : « Pourvu que nous n’ayons pas à faire un bilan et à dire : la paix en Colombie nous a coûté tel nombre de morts supplémentaires. Il est vrai que le plus probable est que beaucoup d’entre nous tomberont en chemin ». La prédiction semble se réaliser parce que « il y a un harcèlement paramilitaire qui assassine et poursuit les membres des familles de combattants » a-t-il déclaré.
« Des faits isolés »
Le ministre de la défense Luis Carlos Villegas s’est montré catégorique : il n’y a pas de preuves que des groupes paramilitaires soient derrière les assassinats de leaders sociaux dans le pays et les investigations indiquent que ces assassinats sont des faits isolés. Le ministère de l’intérieur a confirmé avoir reçu 41 plaintes d’homicides cette année, dont 14 se sont avérées être des attaques contre des défenseurs des droits humains.
De son côté, le vice-président Óscar Naranjo a lancé « le corps d’élite pour la paix », composé de plus de 1 000 policiers qui auront pour mission principale de contenir les actions des organisations criminelles qui attentent aux mouvements sociaux et politiques.
En ce qui concerne la protection des ex-combattants, le directeur général de l’Unité nationale de protection (UNP), Diego Fernando Mora, a annoncé la création d’une sous-direction spéciale qui évaluera et déterminera quel type de risque court chaque ex-guérillero et ceux à qui l’on assignera des mesures de protection. Il a aussi révélé l’usage de nouvelles technologies de sécurité comme des inhibiteurs qui évitent l’activation d’explosifs avec des téléphones portables, des radios et des moyens de communication de dernière génération.
De même, en accomplissement de ce qui a été décidé dans le point 3 de l’Accord de paix, qui oblige à la création de schémas de protection mixtes, avec des membres des FARC, des forces armées et du personnel de la UNP, 315 ex-guérilleros ont débuté un cours qui sélectionnera ceux qui sont aptes à garantir la sécurité des dirigeants du parti politique que vont constituer les FARC.
Devant le manque de protection que ressentent les leaders sociaux dans le pays, l’OACNUDH a recommandé au gouvernement dans son rapport de « reconnaître l’assassinat des défenseur.e.s des droits humains comme une situation grave face à laquelle l’État a l’obligation de protéger et garantir la vie » et « d’améliorer le temps de mise en place des politiques d’inclusion sociale et des droits économiques, sociaux et culturels des zones les plus affectées par le conflit ».
L’organisme a rappelé que « la protection de la vie et la diminution de la violence sont directement liées aux opportunités d’inclusion politique et à l’amélioration de l’emploi, de la santé et de l’éducation ».
- Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3421.
- Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
- Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 13 juillet 2017.
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